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Suède 1958 : enfin le Brésil !

Publié le 03/02/2021Football
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La Fifa a une nouvelle fois violé la règle de l’alternance au profit de l’Europe en offrant l’organisation de la phase finale de la VIème Coupe du monde à la Suède. Est-ce pour consolider l’avantage acquis à Berne en 1954 aux dépens de l’Amérique du Sud, grâce à la victoire de la République fédérale d’Allemagne qui portait à trois contre deux le nombre de succès de l’ancien Continent dans son duel avec les pays d’outre-Atlantique ? Ce n’est pas impossible car Jules Rimet, qui avait des raisons personnelles de respecter les droits des Sud-Américains, a quitté la présidence de la Fifa après avoir remis la coupe qui porte son nom à Fritz Walter. Son successeur, le Belge René William Seeldrayers, est décédé en 1955 et c’est un Anglais, Arthur Drewry, qui le remplace.
Quatre équipes britanniques !
On va tout de suite constater les conséquences de cette élection. Si le nombre des concurrents de la Coupe du monde a continué sa progression avec cinquante et une équipes engagées, la phase finale sera comme auparavant disputée par seize équipes, dont quatre appartiennent à la Grande-Bretagne ! Trois d’entre elles se sont qualifiées de manière régulière : l’Angleterre, l’Ecosse et l’Irlande du Nord, cette dernière de brillante manière en éliminant l’Italie et le Portugal. Mais le Pays de Galles, régulièrement éliminé par la Tchécoslovaquie, se voit offrir un repêchage organisé afin de donner à Israël l’adversaire dont l’a privé l’abstention de l’Indonésie. Galles bat Israël à Cardiff et devient le quatrième représentant de la Grande- Bretagne. Pour une nation qui a ignoré l’existence des trois premières Coupes du Monde, quel privilège ! Bien joué, Mister Drewry ! Il ne manifeste pas la même largeur d’esprit lorsqu’il s’agit de deux continents comme l’Asie et l’Afrique, qui se partageront un seul représentant, lequel sera l’Egypte. Dans les années cinquante, une manifestation aussi ostensible de mépris ne suscite aucune réaction dans le monde du football.
Douze à trois
Arthur Drewry pense peut-être que l’entrée de l’URSS dans la phase finale, où elle rejoint trois autres équipes de l’Est (Yougoslavie, Hongrie, Tchécoslovaquie), constitue une preuve suffisante de son libéralisme. En tout cas, l’Europe bénéficiera d’une surreprésentation puisqu’elle aura douze équipes sur seize, l’Amérique du Sud se contentant de trois équipes (Paraguay, Argentine et Brésil). C’est dire les chances de l’Europe dont M. Drewry est devenu le champion. L’absence de l’Uruguay qui n’a pas digéré sa défaite de Lausanne, la première subie en Coupe du Monde, ne semble pas compensée par la présence du Paraguay, surprenant vainqueur de l’Uruguay et de la Colombie. L’Argentine a bien condescendu à reprendre sa participation interrompue depuis 1934, mais ses brillants attaquants Omar Sivori, Humberto Mashio, Antonio Valentin Angelillo, vedettes du championnat sud-américain 1957, ont émigré dans les clubs italiens où ils imiteront Monti, Orsi, Guaita et Demaria de 1934. Enfin, le Brésil, difficile vainqueur du Pérou (1-0 et 1-1) dans la phase qualificative, n’a pas encore fait oublier la déception laissée en Suisse.
Un phénomène de 17 ans
Comme en 1954, les seize équipes ont été réparties en quatre groupes, dont les deux premières classées accéderont aux quarts de finale. Mais, retour à la logique, chacune jouera trois matchs. Le Groupe IV qui réunit Angleterre, Autriche, URSS et Brésil est impressionnant. Vainqueur facile de l’Autriche, le Brésil, tenu en échec par l’Angleterre (0-0), titularise pour affronter l’URSS, qui a réalisé les mêmes résultats, un attaquant de 17 ans, Edson Arantès do Nascimento, surnommé Pelé, un ailier-droit surnommé Garrincha et un demi offensif surnommé Zito. Expérience positive : le Brésil gagne 2 – 0 malgré le fameux gardien Lev Yachine. Ce sont surtout les dribbles de Garrincha qui ont mystifié la défense soviétique, et Vava qui a signé les deux buts. L’URSS terminera seconde du groupe après avoir battu l’Angleterre en match d’appui (1-0), tandis que le Brésil est premier.
Le sort de l’Argentine est moins enviable : une victoire sur l’Irlande du Nord, mais deux défaites face à l’Allemagne et la Tchécoslovaquie, la seconde sur le score de 6-1, lui valent l’élimination et une réception humiliante à l’aéroport de Buenos-Aires sous une pluie de pièces de monnaie. L’Allemagne et la surprenante Irlande du Nord se qualifient. La Suède et le Pays de Galles en feront autant aux dépens du Mexique et de la Hongrie, ombre de la grande formation de 1954 démantelée par l’intervention militaire soviétique de 1956.
Gilmar et Garrincha félicitent Pelé
 
Le triomphe du Brésil, et l'immense Lev Yachine
Kopa – Fontaine : des buts !
Le groupe II a offert dès son premier match un spectacle de football offensif dans la ligne tracée par la Coupe du monde 1954, grâce à une vedette inattendue : l’équipe de France, longtemps vouée aux rôles de second plan et métamorphosée par un style rémois qu’elle doit aux dix joueurs du meilleur club de l’Hexagone, à son entraîneur Albert Batteux et à son sélectionneur Paul Nicolas. On doit aussi à ce dernier la présence de Raymond Kopa qui vient de remporter, avec le Real Madrid où il a été transféré, sa seconde Coupe d’Europe des clubs. C’est lui qui va orchestrer magistralement le jeu offensif de l’équipe française et donner à Justo Fontaine des occasions de but qui lui permettront d’établir un record (13 buts) qui n’a pas été approché quarante années plus tard. Jean-Jacques Marcel, Robert Jonquet, Jean Vincent, Roger Piantoni, André Lerond, Yvon Douis, Maryan Wisnieski seront les autres individualités marquantes d’un ensemble dont la cohésion tactique est garantie par l’adhésion au style de jeu constructif de la base rémoise. Cette équipe a débuté de manière sensationnelle en battant sur le score de 7-3 une équipe du Paraguay à la vitalité débordante. Une seconde victoire sur l’Ecosse lui assure la qualification aux quarts de finale que ne compromet pas une défaite-surprise devant la Yougoslavie. L’Irlande du Nord est dominée et éliminée (0-4) par une formation confiante dans ses moyens, qui rejoint l’Allemagne, la Suède et le Brésil dans l’avant-dernière étape de la course à la suprématie. C’est, malheureusement pour elle, le Brésil que le sort va lui opposer en demi-finale à Stockholm, le Brésil que le jeune Pelé a qualifié grâce à un superbe exploit technique réalisé au milieu d’une équipe galloise entièrement repliée devant son gardien et sans autre ambition que d’éviter un score écrasant.
But de Fontaine, meilleur buteur avec 13 buts, associé à Kopa, meilleur joueur du tournoi
 
Digne d’une finale
Le match que le Brésil et la France vont offrir au public du Solna Stadion sera considéré à l’issue de la compétition comme le meilleur, en raison de la volonté offensive des deux équipes et de la qualité exceptionnelle des joueurs à son service, qui multiplieront les exploits tout au long des 90 minutes. Le Brésil l’emporte mais l’écart de 5-2 illustré par quatre superbes réalisations brésiliennes (trois de Pelé, une de Didi) et un magnifique but de Fontaine servi par Kopa, aurait probablement été moins ample si Jonquet, blessé dans un choc avec Vava, n’avait pas dû quitter le terrain à la mi-temps.
En battant l’Allemagne (6-3) dans le match pour la troisième place, l’équipe de France confirma l’excellente impression laissée par son brillant duel contre le Brésil. Si la Suède, difficile vainqueur de la RFA en demi-finale, subit en finale le même score que la France devant le Brésil (5-2), la supériorité des Sud-Américains sur l’équipe de Suède, menée par les vétérans Nils Liedholm et Gunar Gren, s’affirma plus rapidement et avec plus d’évidence que devant la France. Le jeu collectif préparé par Nilton Santos, Zito et Didi permettait les inévitables débordements de Garrincha sur l’aile droite, les reprises de volée de Vava et les géniales prouesses de Pelé, encore auteur de deux buts.
Garrincha bute sur Abbes devant Kaelbel (Brésil - France 5 - 2)
 
Triomphe des valeurs sportives
La victoire du Brésil a donc été la victoire de cette conception ludique et artistique du football qui a jeté ses premiers feux en 1938 avec Leonidas, Domingos, Tim et leurs coéquipiers, qui s’est affirmée en 1950 avec Ademir, Jair, Zizinho, et qui s’est imposée en 1958, après avoir été reniée dans les faits en 1954.
On a attribué à tort l’invention du 4-2-4 au Brésil de 1958. Ce dispositif tactique était celui de la Hongrie en 1954, avec une ligne arrière formée par Jeno Buzansky, Gyula Lorant, Jozsef Zakarias, Mihaly Lantos, deux demis Jozsef Boszik et Nandor Hidegkuti, quatre avants Laszlo Budai, Sandor Kocsis, Ferenc Puskas et Zoltan Czibor (Hidegkuti se portant fréquemment au centre de la ligne d’attaque).
Il faut ajouter aussi que la victoire du Brésil a été tout simplement la victoire du sport sur les calculs du président anglais de la Fifa, persuadé d’avoir réuni toutes les conditions pour offrir à la Grande-Bretagne, ou au pire à un pays européen, le titre mondial en même temps qu’un avantage définitif sur le football sud-américain, avant-garde du football du tiers-monde. Mais si les valeurs sportives ont pu s’exprimer de manière aussi brillante dans cette Coupe du monde qui s’est déroulée sans incident et sans contestation, à quoi faut-il attribuer ce fait que les manœuvres de Mister Drewry ne permettaient pas de prévoir ?
Djalma Santos et Vava
 
La Suède et l’Europe
La situation géographique de la Suède à la périphérie du continent, ajoutée au statut de neutralité qui la maintient hors de la guerre comme la Suisse et plus loin de l’antagonisme Est-Ouest, a sans doute contribué au climat serein de la compétition, dans laquelle l’arbitrage n’a jamais tenu un rôle déterminant. Pourtant, la situation politique du monde n’est pas au beau fixe comme l’été scandinave lorsque s’engage le premier match le 8 juin.
La mort de Staline en 1953 a autorisé l’espoir d’une libéralisation du régime soviétique et la participation de l’URSS à cette Coupe du monde semble le confirmer. Mais l’année 1956 a été marquée par une recrudescence de la tension internationale. Les chars soviétiques ont brutalement réprimé le soulèvement populaire de Budapest et la « normalisation » s’est traduite par l’exécution d’Imre Nagy le réformateur. L’expédition franco-britannique, appuyée par l’armée israélienne, après la nationalisation par l’Egypte du canal de Suez, a été interrompue de justesse par l’action des Etats-Unis et de l’URSS. Mais en Algérie, la guerre de libération commencée en 1954 ne laisse pas espérer une issue à court terme. Les fusées intercontinentales sont l’objet d’accords et de désaccords entre l’Ouest et l’Est. Il y a d’autres événements politiques moins sombres comme la conquête pacifique de l’indépendance par le Maroc, la Tunisie et le Ghana. Les impressionnants progrès technologiques, révélés par les débuts de la conquête de l’espace par le spoutnik et le satellite Explorer, sont accueillis avec optimisme.
Le contexte général de cette Coupe du monde ne semblait donc pas exceptionnellement favorable à une compétition internationale très sensible à son environnement. Il faut donc attribuer à la situation de la Suède en 1958 le mérite essentiel du succès de son organisation. Quant à la victoire que le Brésil attendait depuis 1938, la spectaculaire progression de son économie, qui a valu au pays sous-développé qu’il était de talonner les riches nations occidentales, y a contribué dans une large mesure, en donnant à ses footballeurs la conscience de leur valeur.
Retour au Brésil, le triomphe du capitaine Bellini
 
François Thébaud, 1998